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ROUTE DU RHUM : PORTRAIT DE NICOLAS D’ESTAIS, SKIPPER SUR HAPPYVORE-CAFÉ JOYEUX
Il vient de fêter ses 31 ans. Nicolas d’Estais est l’un de ces profils atypiques que l’on peut trouver dans le sport. S’il a grandi loin de l’Atlantique, dans le sillage de ses parents expatriés, il est tombé dans la mer grâce aux navigations en famille, chaque été, pendant une semaine, entre Houat, Hoedic et Belle-Ile. Pour la technique, c’était l’école des Glénans.
Nicolas D’Estais, skipper lors de la 12ème édition de la Route du Rhum, concourt à bord de son Class40 Happyvore – Café Joyeux
Dans sa chambre d’enfant, il y a des posters de skippers et de skippeuses : Michel Desjoyeaux, Roland Jourdain et Ellen Mc Arthur, sa « chouchoute ». Sur une photo de ses 11 ans, il pose même fièrement avec la navigatrice. C‘est elle qui a déclenché son intérêt pour la course au large.
Pourtant, c’est dans le monde du conseil qu’il commence sa carrière, après un diplôme d’ingénieur en mécanique et contrôles de systèmes obtenus à Cambridge en Masters of Engineering.
Pendant cinq ans, il est consultant en stratégie au sein du prestigieux cabinet McKinsey. Un monde dont il a conservé une formidable « boîte à outils » dont il se sert beaucoup aujourd’hui.
En parallèle de son activité de consultant, Nicolas d’Estais prend la mer
En 2015, première Mini Transat en 6.50 : il termine à la 9e place. Il fera trois autres saisons, en 2016 toujours en Mini, puis 2019, où il se classe 2e de la Mini Transat.
Encouragé par cette performance, Nicolas d’Estais décide de virer de bord, démissionne de chez McKinsey et devient skipper professionnel à temps plein. En 2021, entré dans « la cour des grands », la Class 40, il se classe 13e de la Transat Jacques Vabre. En parfait scientifique, Nicolas d’Estais ne croit pas à l’astrologie et fait mentir son signe astrologique qui voudrait le voir sans cesse peser le pour et le contre. Lui est plutôt du genre à se lancer corps et âme dans les projets sans parfois avoir fait le tour de la question…
Scientifique, encore, quand il admet avoir tout fait pour décrocher un numéro de bateau qui soit un nombre premier (le 167).
Superstitieux, le garçon ? Pas du tout, se défend-il. Pourtant, le 9 novembre, Nicolas d’Estais ne sera pas tout à fait seul à bord : Jimmy, sa mascotte, un lapin en peluche grigri qui ne le quitte pas depuis ses premières courses en 2014, sera lui aussi au départ…
Son palmarès
- 2015: 9e de la Mini Transat 6.50
- 2016: 2e de la Mini Fastnet
- 2018: 3e de la Mini en Mai
- 2018: 3e de la course Les Sables d’Olonne/Les Açores/Les Sables d’Olonne
- 2019: 2e de la Mini Fastnet (Mini 6.50)
- 2019: 2e de la Mini Transat (Mini 6.50)
- 2021: 13e de la Transat Jacques Vabre (Class 40)
- 2022: 6e place des 1000 Miles des Sables (Class 40)
- 2022: 1er Armen Race (Class 40)
- 2022: 1er Mini Fastnet (Mini 6.50)
Le bateau
Nicolas d’Estais concourt sur un Class 40 neuf construit chez Multiplast sur plan VPLP et financé par le fonds du Bien Commun, fondé en 2021 par le philantrope Pierre-Edouard Sterin.
Le bateau porte le numéro 167 et arbore une voile de 190m2 aux couleurs de Happyvore - Café Joyeux. Un bateau ultra compétitif surnommé « Ernest » en référence au célèbre explorateur polaire Ernest Shackelton, dont l’histoire lui était racontée par son père quand il était petit.
Ce choix d’un bateau neuf résulte d’une contrainte technologique : l’apparition depuis 2019 de coques en forme de « scows » en Class 40. Des bateaux dont la coque est très large de l’arrière jusqu’à l’avant, réduisant l’étrave à un avant arrondi.
L’avantage est un gain de vitesse. Un bateau neuf, le choix de Nicolas d’Estais pour porter haut et vite les couleurs d’Happyvore et Café Joyeux et espérer « jouer avec les premiers ».
Interview de Nicolas d'Estais
Prendre le départ de la Route du Rhum est un accomplissement personnel dites-vous. En quoi cette course est-elle plus mythique pour vous que les autres ?
N.E : Participer au Rhum, c’est l’accomplissement d’un rêve d’enfant et j’ai une chance inouïe déjà d’être là. C’est en effet une course mythique et la plus ancienne course transatlantique. On a tous en tête des images d’arrivée sur le fil d’arrivée, Mike Birch contre Michel Malinivosky lors de la première édition, François Gabart et Francis Joyon sur la dernière édition.
Le Rhum, c’est aussi des drames : la disparition d’Alain Colas, de Loïc Caradec. J’ai toujours suivi cette course.
Je me souviens qu’en 2002, je courais à la bibliothèque du collège à chaque récré pour aller consulter la cartographie de la course. C’était une annus horribilis de la Route du Rhum : 18 bateaux au départ, trois trimarans à l’arrivée, et Ellen McArthur, ma « chouchoute » qui avait gagné.
Cette 12e édition enregistre un record de participation avec 138 bateaux au départ, dont 55 Class 40. La concurrence s’annonce rude….
N.E : Le plus impressionnant c’est le niveau et le potentiel des skippers qui seront au départ en Class40. Sur les 55 Class40, la moitié environ ont été construits depuis la dernière Route du Rhum. Le mien aussi.
Il y a du monde et beaucoup de skippers au palmarès impressionnant sont là pour gagner. Ça va être sympa de régater contre eux !
Même si honnêtement je ne pars pas favori de l’épreuve, je n’ai pas peur de la concurrence et je donnerai tout, sans complexe, comme d’habitude en faisant du mieux possible tout le temps. C’est ça les valeurs de la voile…
En parlant de valeurs, quelles sont celles de vos deux sponsors qui vous touchent ?
N.E : Que ce soit HappyVore ou Café Joyeux, leurs missions m’animent.
- Chez HappyVore, c’est leur engagement pour une transition alimentaire et donc la protection de la planète, notre terrain de jeu à nous, les skippers. On pratique le seul sport au monde où notre terrain de jeu n’a pas de limites. Notre planète est magique.
- Pour Café Joyeux, c’est l’inclusion. Je suis profondément animé par l’envie de mettre l’inclusion au centre du débat. J’ai quitté ma vie parisienne pour trouver un équilibre de vie et vivre de ma passion.
C’est une motivation supplémentaire que de porter les couleurs de partenaires qui comptent pour moi, et dont je partage les valeurs. C’est un vrai booster d’énergie. Une fois en mer, et dans les moments difficiles, cela fera la différence…
Deux sponsors pour une même voile, ce n’est pas banal…
N.E : Ce n’est pas commun en effet ! La dernière à avoir fait cela, c’était Ellen MacArthur en 2004 et ce n’était pas pour la Route du Rhum. Elle portait d’un côté les couleurs de B&Q et de l’autre Castorama, deux filiales du même groupe.
Pour ma part, je n’ai pas deux demi-sponsors mais deux entreprises qui me soutiennent à 100%. Ça participe à embrouiller les concurrents, quand je vire de bord !
En quoi votre premier métier de consultant peut-il vous aider en course ?
N.E : Le monde du conseil permet de se constituer une sorte de «boîte à outils» qui s’avère bien utile en course : devoir faire à la fois de la planification et de l’exécution, gérer un projet de A à Z, pouvoir être efficace avec peu de ressources, être attentif aux détails –ce qui est essentiel dans la préparation du bateau-, bien connaître le monde de l’entreprise –très utile pour convaincre les directeurs et les sponsors…
Sans oublier apprendre à dormir très peu, mais ça, je n’ai toujours pas appris !
Je crois que le numéro 167 de votre bateau n’est pas tout à fait dû au hasard…
N.E : C’est vrai ! Les numéros de la Class40 sont attribués par ordre de construction des bateaux.
J’ai tout fait pour obtenir un nombre dit « premier » (qui n’est divisible par aucun autre si ce n’est par 1 ou lui-même, ndlr). J’ai dû faire les yeux doux à Annabelle, la secrétaire de la Class 40 pour savoir quand déposer ma demande et obtenir ce 167.
Pourquoi avoir surnommé votre bateau « Ernest » ?
N.E : Ernest pour Ernest Shackleton. Petit, avec mes frères, mon père nous racontait souvent l’histoire de cet explorateur, devenu une sorte de héros familial.
En 1914, il avait monté une expédition pour traverser l’Antarctique mais faute de moyens il est parti avec un bateau inadapté : écrasé par la glace, la coque en bois a implosé et le bateau a coulé. Il a passé six mois à camper sur la glace avec les 27 membres de son équipage et il leur faudra presque deux ans pour rallier la Géorgie du Sud à bord d’un canot de survie.
Son bateau s’appelait «L’Endurance». Son histoire est une formidable leçon de management et montre que dans toute situation compliquée, il y a matière à réussir quelque chose de plus grand. En 2018, Sidney Gavignet sur « Café Joyeux » en Rhum Mono avait remporté le titre en 16 jours, 11h et 18 minutes. Quant à Yoann Richomme en Class40 il avait fait le trajet en 16 jours, 3h et 22 minutes.
Quel est votre objectif ?
N.E : Je suis très fier de prendre la suite de Sidney Gavignet mais il a mis la barre très haut ! Quant à Yoann Richomme, c’est un vrai champion. Les bateaux sont de plus en plus rapides il est possible que le record tombe.
Pour ma part, je serai déjà content d’arriver. Mais peu importe les conditions, je n’aurai pas le temps de traîner car je n’ai pris que 18 jours de nourriture !
Pour finir, un mot sur Jimmy, votre co-équipier clandestin ?
N.E : J’ai toujours été entouré de lapins en peluche depuis ma petite enfance. Croire que les lapins portent malheur sur les bateaux c’est de la pure superstition !
Mais Jimmy ne m’a jamais quitté depuis 2014 et je n’ai jamais eu de gros soucis à bord pendant mes courses. Le scientifique que je suis y voit une sorte de corrélation. Qui sait ce qu’il se serait passé s’il n’avait pas été là ?
Je sais bien que la Route du Rhum est une course en solitaire, mais Jimmy est un récidiviste : il était déjà passager clandestin sur le dernier Vendée Globe. Mais ne comptez pas sur moi pour vous révéler avec qui : c’est un secret bien gardé !